Il y a maintenant deux ans et demi, j’ai eu l’occasion de présenter une conférence sur l’histoire de la dentelle à la boutique Temps d’élégance. C’est un sujet qui me tient à cœur depuis longtemps, à la fois en tant qu’historienne, passionnée par l’histoire de la mode et des techniques et en tant que dentellière : je connais les bases pour la dentelle aux fuseaux.
J’ai donc eu envie de reprendre mes notes et de vous proposer une série de posts sur l’histoire de la dentelle.
Il existe en fait assez peu de recherches historiques sur l’histoire de la dentelle, ce qui s’explique en partie par la difficulté d’accès aux archives, quand elles existent, mais aussi par l’idée que la dentelle est un petit morceau de textile périssable et futile, peut-être un des aspects les plus légers du costume et donc un sujet fort léger en soi.
L’essentiel de la littérature accessible sur la question s’intéresse à l’identification des dentelles en fonction de leur provenance, le plus souvent régionale. Cette approche pose plusieurs problèmes. D’abord cela laisse une large place au régionalisme tel que le pratiquaient les folkloristes du XIXe siècle et qui tend à créer une inévitable hiérarchie entre les régions et leur savoir-faire. Mais ce genre de jugement de valeur ne nous emmène pas loin. D’autre part, l’appellation des dentelles est souvent trompeuse car elle ne correspond pas forcément à leur lieu de fabrication. Ainsi la dentelle d’Angleterre ne fut pas fabriquée en Angleterre mais fabriquée en Belgique, à destination du marché anglais. Notez aussi que la dynamique de copies et d’imitations est au cœur de l’évolution de la dentelle en fonction des modes. Dans cette logique il est normal de copier LA dentelle à la mode, quelque soit sa provenance. Identifier l’origine d’une dentelle n’apporte donc pas une grande valeur ajouté pour la compréhension historique du phénomène.
Essayons donc de définir ce qu’est la dentelle. Et ça n’a rien d’évident, comme le prouve la définition que propose Wikipédia « Une dentelle est un tissu sans trame ni chaîne, généralement en fil de soie, lin, nylon ou fibres plus riches selon les cas, exécuté par les dentellières à la main ou à la machine, à l'aide de points semblables ou non formant un dessin, à bords dentelés ou non. » Bref, la dentelle peut être fait dans à peu près n’importe quelle matière, à la machine ou pas et sans technique précise… Ca ne nous avance pas beaucoup.
Deuxième essai, le Petit Robert nous propose : 1- tissu très ajouré sans trame ni chaine, orné de dessins opaques variés et qui présente généralement un bord en forme de dent. La dentelle est donc un textile autonome, contrairement aux ornements que sont la broderie ou les jours et elle n’est pas faite avec un métier à tisser (l’absence de chaine et de trame était déjà noté par wiki).
Beaucoup de livres définissent la dentelle à partir de la technique employée et se limitent alors à deux types de dentelles : dentelle aux fuseaux et dentelle à l’aiguille. Mais je trouve que cela est trop limité. En effet il existe d’autres techniques qui méritent le nom de dentelle (souvent apparues au XIXe siècle). Ainsi, la dentelle irlandaise est une technique de crochet. Le macramé tel qu’il est pratiqué à Gênes peut être d’une grande finesse. Enfin l’époque victorienne adorait les grands châles en tricot, assez fin pour passer dans une alliance. A cette liste de technique, on peut aussi ajouter le macramé.
Un dernier mot sur le paradoxe de la dentelle. Si on trouve des dentelles dans de nombreuses matières (soie, coton et même fils métalliques), les premières dentelles, et les plus emblématiques, sont en simple lin : un matériel peu couteux, largement répandu et qui n’a l’air de rien. Toute la valeur ajoutée vient de la technique, de la main qui tient le fil et qui pourtant fut souvent payée une bouchée de pain. Et ce sont ces mêmes fils de lin savamment entrelacés qui attinrent des prix capables de ruiner la noblesse à la cour de Versailles.