Il y a déjà quelques mois, sur un blog qui s’intéresse plus particulièrement à l’histoire du costume, la blogueuse râlait parce qu’une guide avait expliqué dans un musée qu’à l’époque de Louis XVI venait la mode de la tournure et d’ironiser, hahahah, tout le monde sait bien que la tournure c’est 1870, cette femme est incompétente, brulez-là !
Ca m’a intrigué et, comme je suis bon public, je me suis dit, moi aussi, c’est scandaleux, tous ces gens incompétents qui répètent n’importe quoi.
Voire. Mon enthousiasme orthodoxe (ou plutôt orthonome mais ce n’est pas français) a été douché quand j’ai relu un trééés ancien post où je parlais de costume du XVIIIe siècle et j’évoquais également la mode de la tournure pour la fin du siècle. Hum, hum… Je fais quoi ? Je supprime le post incriminé ?
Mais non, je ne suis ni si radicale, ni si décidée. Ca me tracassait un peu quand même. Peu de temps plus tard, je relisais le catalogue du Kyoto Costume Institute et je tombais sur la même mention, cette fameuse idée d’une tournure fin XVIIIe. Ca y est, je tiens mon coupable !! Voilà d’où vient l’erreur et ce doit être un stupide traducteur qui n’y connait rien qui a traduit ça n’importe comment !! Tradutore, traditore !
Voire. Si ce n’est pas une tournure, comment appelez cette silhouette où les fesses sont rendues proéminentes par un coussin, nommé dès le XVIIIe faux-cul ?
Voilà la définition du Robert : « III. Mot apparu en 1828. Rembourrage portée sou la robe, au bas du dos (cf. faux-cul) ». Et celle d’un dictionnaire spécialisé dans la mode : « rembourrage qui, en liège ou en duvet par exemple, se portait sous la jupe, dans le bas du dos. Fixée sous la ceinture, la tournure servait de base au plissé ou au drapé de la jupe. Les jupes à tournure furent les jupes les plus répandues dans les années 1860 et 1870 (sic). La tournure pouvait aussi se présenter sous la forme d’une structure qui, constituée d’un entrecroisement de baleines, de lattes en bois, de bandes d’acier ou de bandes métalliques élastiques, était fixée à la taille et s’incurvait au niveau des hanches. Voir aussi crinoline et Worth. ». On notera au passage que le dictionnaire de la mode considère la crinoline elliptique comme une tournure, ce qui me semble méchamment abusif.
Donc si on croit les dictionnaires, la tournure peut désigner la demi cage qui donne sa forme aux robes des années 1870, mais elle peut aussi désigner une silhouette sans précision de période (c’est le sens d’origine du mot tournure).
Quand on parle de vêtement, la terminologie est complexe. Non seulement les noms ont évolué dans le temps et le même mot a pu désigner différentes choses, mais à une époque donnée un même mot peut désigner des vêtements différents selon les personnes avec qui vous en parlez : essayez avec des amis de définir ce qu’est un caraco et on en reparle.
Alors finalement, je crois que je vais donner raison à la petite guide qui essayait de faire son boulot, et je laisse tournure dans mon vieux post, parce que voilà ce que je crois :
Je crois qu’il est nécessaire de s’entendre sur les mots et que les mots n’ont de sens que dans un contexte. Je crois que l’important c’est d’être compris de ceux à qui on parle (et s’ils savent ce qu’est une tournure sans qu’on les ait dressé au préalable, c’est déjà beau). Je crois enfin qu’il faut utiliser les mots dans leur sens actuel et pas dans le sens qu’ils avaient à l’époque du costume qui nous intéresse. Sinon on ne peut pas parler de robe avant la fin du XVIIe, ce qui ne simplifierait pas nos affaires.
Voici un dernier exemple pour aujourd’hui. Il existe dans le vocabulaire médiéval le mot de corset. Bien sûr, cela ne désigne pas un corset baleiné tel que nous l’entendons de nos jours. Mais si vous commencez à parler de corset en faisant de la vulgarisation, on va se retrouver avec des filles en corset sur les fêtes médiévales… et ça, ce n’est pas possible !! Par contre si vous rédigez un article sur le vêtement de dessus au XIVe siècle autour du lac de Paladru à destination d’éminents spécialistes qui savent pertinemment qu’un corset ne saurait comporter de baleines avant le XVIe siècle (et qui, comme tout bon universitaire, n’ont pas la moindre idée de ce à quoi ressemble une baleine de corset), le mot ne pose pas problème, quoique si l’on veut être perfectionniste, on peut bien envisager de le mettre en italique, comme un mot de langue étrangère (la langue étrangère en l’occurrence serait le moyen français).